Ce lundi 1ᵉʳ avril, un bâtiment consulaire iranien situé à Damas a été la cible d’une frappe meurtrière. Au moins 13 personnes ont été tuées, dont sept membres des Gardiens de la révolution, l’unité d’élite de la République islamique. Téhéran a attribué cette frappe à Israël. Le président iranien, Ebrahim Raïssi, affirme que « ce crime lâche ne restera pas sans réponse ». Quelles conséquences cette frappe peut-elle avoir sur le conflit en cours ? Quelles représailles attendre de la part de l’Iran ? Entretien avec Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Farès de politique publique et de relations internationales à l’Université américaine de Beyrouth.
RFI: Depuis le 7 octobre et les attaques du Hamas sur le territoire israélien, Israël est engagé sur deux fronts contre des alliés de l’Iran : au sud contre le Hamas palestinien à Gaza et au nord contre le Hezbollah libanais. Cette fois-ci, c’est l’Iran directement qui a été touché, dans la capitale syrienne. Est-ce qu’il s’agit d’un moment fort de cette confrontation ?
Joseph Bahout : C’est un des moments forts, effectivement. Il y a une sorte de ligne directrice des frappes israéliennes en Syrie et au Liban. Et dans cette ligne, il y a parfois des points plus proéminents que d’autres. Celui-là en fait partie sans conteste. Dans la même ligne, on peut rappeler l’assassinat de Salah Al-Arouri (ndlr : un des hauts dirigeants du Hamas) le 2 janvier. Il y a eu aussi d’autres frappes israéliennes à Damas mais je crois que l’importance tient plus à la nature diplomatique du bâtiment touché que dans le profil des victimes. Des personnalités un peu équivalentes ont déjà été tuées en Syrie et ailleurs.
On est dans ces moments de pic où on se demande si les règles d’engagement vont changer, si on va basculer dans l’affrontement beaucoup plus large, beaucoup plus total. Mais très fréquemment, après ce genre de frappes, nous revenons un peu au même rythme. Je ne sais pas si cette frappe-là va changer les choses mais je ne suis pas sûr que cela sorte complètement de l’ordinaire malgré le caractère spectaculaire de l’action de ce lundi.
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Est-ce qu’il y a un message d’Israël dans le fait de toucher un bâtiment diplomatique ?
Les messages sont les mêmes : ils montent en puissance. C’est vraiment dire à l’Iran qu’on s’approche du seuil à partir duquel c’est l’Iran directement qui sera engagé dans le conflit. Peut-être pas le territoire iranien mais l’Iran directement.
Mais je pense que la question est dans l’autre sens, c’est-à-dire de savoir comment l’Iran lui-même veut percevoir ce genre de messages. Est-ce qu’il se contente de dire « c’est une frappe en plus, je l’encaisse, je digère et je continue mon action comme avant » ? Ou est-ce qu’il décide lui-même de dire « là, on a franchi une sorte de ligne rouge, et donc ma riposte doit être plus forte, plus violente, plus significative » ?
C’est un peu comme ça que se passe le dialogue de dissuasion entre l’Iran et Israël. C’est encore tôt pour le dire, mais je pense que l’Iran digérera cette frappe. Il fera probablement ou il fera faire une opération à partir de la Syrie, très probablement sur le Golan occupé ou sur l’intérieur du territoire israélien qui sera peut-être un peu plus forte. Et ce message sera décodé à travers le type de missiles employés à travers le ciblage israélien. Et ensuite, je crois qu’on reviendra un tout petit peu à la ligne directrice d’avant.
Ce qui est intéressant depuis un moment – et c’est peut-être la nouveauté – le front nord d’Israël avec le Hezbollah est de plus en plus en train de devenir un front élargi au Liban et à la Syrie. Les plans qui fuitent d’Israël sur une action éventuelle vis-à-vis du Hezbollah disent que peut-être cette fois, Israël engagerait le Hezbollah en Syrie directement, ou en Syrie et au Liban. Je pense que ce genre de messages confirme un petit peu cela. On sait aussi par ailleurs que le Hezbollah et l’Iran se préparent de plus en plus à une action israélienne, si elle avait lieu sur le front nord, qui engagerait aussi le territoire syrien. Je crois que c’est un petit peu là la nouveauté.
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Vous avez dit qu’Israël « monte en puissance ». Est-ce qu’il y a un changement de stratégie de la part de l’armée israélienne ?
C’est la même stratégie, mais avec dégradation, avec des montées en puissance. Et je crois que ce qui explique cette montée en puissance, c’est le fait d’abord que Netanyahu est de plus en plus coincé dans le jeu politique intérieur comme dans le jeu international avec les États-Unis.
Cette frappe intervient au moment où on lui demande peut-être de mettre fin à l’opération et de ne pas s’engager dans l’opération à Rafah (ndlr : ville du sud de la bande de Gaza dans laquelle se sont réfugiés plus d’un million de Palestiniens d’autres localités de l’enclave). C’est aussi le moment où certaines voix en Israël disent que s’il y a une trêve durable à Gaza et donc une non-offensive sur Rafah, ce sera peut-être le moment de se retourner vers l’autre objectif qui est l’objectif Hezbollah sur la frontière nord.
Donc, c’est une façon un tout petit peu de jouer sur le clavier entre Gaza et le front nord. Il y a aussi le fait que Netanyahu a besoin que cette guerre continue et donc, de temps en temps, entend réchauffer un tout petit peu la sauce en faisant une opération de ce type-là. Pour Israël, elle n’est pas très coûteuse en termes de renseignement ou de frappe. Elle peut être coûteuse en termes de représailles, mais elle a l’avantage de faire perdurer le conflit et donc de maintenir encore et encore le Premier ministre israélien en place.
RFI